vendredi 24 octobre 2014

Pourquoi une « Rue des Chartreux » à Mons ?


« Le 7 octobre 1617, Paul de Saint-Jean, seigneur de Mons, vendit noblement à la Chartreuse de Tolosa la Seigneurie de Mons … »

     L’ordre des Chartreux a été créé par St Bruno au XIème siècle. La Grande Chartreuse est fondée en Isère en 1084. De nombreuses chartreuses vont se développer en France. En 1315 la Chartreuse de Beaulieu (ou Loubatières) est fondée dans la Montagne Noire ; cette chartreuse déménage en 1361 pour s’établir à Saïx, prés de Castres, et devient la Chartreuse Notre-Dame de Beauvoir (ou Belvèze). Elle est détruite en 1567 lors des guerres de religion, puis reconstruite en 1674 ; elle sera définitivement fermée à la Révolution.

     Dès 1569, les premiers moines, venant des chartreuses de Castres et de Cahors, s’établissent à Toulouse, dans le quartier de St Pierre des Cuisines, là où sera construite quelques années plus tard la Chartreuse de Toulouse - aujourd’hui emplacement de la faculté des Sciences Sociales. La construction de l’église de la Chartreuse, appelée aujourd’hui St Pierre des Chartreux, a été réalisée de 1606 à 1612. Un texte daté de 1665 précise : « … leurs prédécesseurs sy devant establis à Castres ayant été solicités avec empressement par les Capitouls, procureurs, officiers et habitants de nostre ville de Toulouse d’y transférer leur Chartreuse. Ils y auraient acquiéssé aux conditions portées par les délibérations des années 1602 et 1606 … par lesquelles ils sont déclarés exempts de toutes tailhes, emprunts, charges ordinaires et extraordinaires … ».

     En 1614, la Chartreuse de Toulouse achète la seigneurie de Mondouzil au seigneur Nicolas de Drot. En 1617, c’est le tour de la seigneurie de Mons, achetée au seigneur Paul de Saint-Jean. D’autres terres ont été acquises à Flourens, auprès de Odet de Saint-Jean, frère de Paul. Les chartreux achèteront aussi la seigneurie de Paulel au seigneur Jérôme Bandinelly.



     “ En l’année 1617, Messire Paul de Saint-Jean conseiller vendit noblement a la chartreuse de Tolose la Seigneurie de Mons, a la reserve de 58 arpents 13 pugnerees de fonds rural pour le quel il payait taille sous l’allivrement 1 de 7 livres livrantes 1 … “


     Lors du compoix 2 de 1666, les Chartreux possèdent à Mons : 55 arpents 3, 13 pugnerées 3 et 11 boisseaux 3, soit environ 33 hectares.

     Dans les trois cas (Mons, Mondouzil, Paulel) l’achat concerne à la fois les châteaux et les terres attenantes. Le Château de Mons est signalé en ruines dès 1460 dans la reconnaissance (du 8 mars 1460) du seigneur Raymond de Puybusque : « tour en partie de terre en partie de murailhe vieille et ruineuse entouré de fossés et autrefois de pont-levis … ». Compte tenu de l’état délabré de ce château à cette époque, on peut penser que personne n’y habitait. Par contre des frères converts, métayers, domestiques habitaient très certainement au Château de Mondouzil. Peut-être certains chartreux, en particulier le procureur et sindic de la chartreuse, venaient-ils de temps en temps au Château de Mondouzil et parfois au Château de Mons pour administre ces domaines ? Peut-être un métayer habitait-il dans une dépendance de ce château en ruines ? Toutefois, il est dit dans les reconnaissances de 1718, que les feudataires4 (tenant en fief 4 du seigneur) « annuellement et à perpétuité se rendre au château dudit lieu de Mons pour payer les censives 4 », du moins en ce qui concerne les censives en nature (bled, froment, gélines 5 …), les censives en argent étant directement payables à la Chartreuse à Toulouse.

     Le compoix de Mons de 1666 nous apporte les informations suivantes :





     Les terres appartenant aux Chartreux étaient principalement situées autour du Château, aujourd’hui disparu. Seuls les noms de rue de ce quartier en rappellent la mémoire. Tout le plateau, d’un seul tenant, situé entre l’église, le village, et le consulat de Clairac, leur appartenait (voir plan ci-dessus de 1783-1786). La partie située autour du Château s’appelait « al Claux », celle qui “ confrontait“ le Consulat de Clairac s’appelait « Brantalou », aujourd’hui « Gaudens ». On trouvait là un certain nombre de dépendances : moulin à vent et moulin pastelier, tuilerie, … Le « puits commun » se situait non loin de là en allant vers le village.

     A ces terres s’ajoutaient de nombreuses autres parcelles dispersées sur tout le Consulat de Mons, par exemple des parcelles de vigne sur le versant qui domine le ruisseau du Roussel (aujourd’hui lotissement du Coustous).

     Le nom de « Rue des Chartreux » a été donné à la rue qui aujourd’hui traverse d’est en ouest ce quartier de Mons. C’est là où se situait, de 1617 à 1789, le domaine monsois de la Chartreuse de Toulouse, avec son Château - alors déjà en ruines. Les Chartreux possédaient aussi sur Mondouzil des terres et un château certainement en bien meilleur état que celui de Mons où logeait le régisseur de ces deux domaines qui étaient contigus ; un chemin – qui existe encore aujourd’hui, le chemin du bois de Mondouzil - reliait les deux châteaux.



     Les seigneurs de Clairac (ci-dessous : noble Pierre CASSAN, écuyer) payaient censives aux Chartreux pour des terres qu’ils tenaient en fief du seigneur de Mons. La Chartreuse de Toulouse, propriétaire alors de la seigneurie de Mons, bénéficiait des mêmes privilèges que le seigneur.


“Regnant tres chretien Prince Louis par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre, pardevant Moy Notaire Royal et témoins bas nommés a été présent Noble Pierre Cassan Escuyer Seigneur de Clayrac Lequel de son bon gred et franche volonté a Reconnu et Confessé avoir et tenir en fief de la directe perpétuelle du venerable Couvent de la Chartreuse de Toulouse, Seigneur directe du Lieu de Mons diocèze et Senechaussée de Toulouse Le venerable père Dom …“ ADHG.

     Un procès, qui durera près d’un demi-siècle, de 1660 à 1709, aura lieu entre les chartreux et les consuls de Mons. Ces derniers avaient imposé à tort certaines terres appartenant aux chartreux. Ces terres, autrefois terres du seigneur, donc « nobles », devaient en conséquence être exemptées d’impôts. 


     Lors de la Révolution, en 1789, les biens de la Chartreuse de Toulouse sont saisis. Dans l’inventaire des BIENS NATIONAUX figurent les informations suivantes concernant les terres et métairies leur appartenant. A côté des trois châteaux de Mondouzil, Paulel, et Mons, figurent environ 550 hectares de terres. Ces biens concernaient aussi les communes de Balma, Flourens, Quint-Fonsegrives, et St Orens. A titre de comparaison la superficie totale de la commune de Mons se situait aux environs de 730 hectares (monographie de Théophile Lassserre, 1885).


     Une partie de ces biens - les châteaux et domaines de Mondouzil et de Paulel, les métairies de Lassalle, de Mons, de La Pigasse, de Bordebasse, de Laspeyres, de Lance, d’En Rivière, moulin, forge et terres - est vendue, comme Biens Nationaux, le 20 novembre 1791, au Marquis Jean-Antoine De Catellan De Caumont. Celui-ci fût, dès 1782, à l’âge de 23 ans, premier avocat général au Parlement de Toulouse. Il deviendra par la suite député de la Haute-Garonne, et pair de France. Il habitait au Château de Mondouzil.

Ces terres représentaient au total 630 arpents, 73 pugnerées, 32 boisseaux, soit environ 375 hectares. Elles furent estimées à 172 722 livres, adjugées à Catellan à 231 000 livres, mais le prix réel retenu fût de 55 440 livres. (Voir document : Vente des Biens Nationaux, de Henri Martin, page 452).

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     C’est ainsi que la Chartreuse de Toulouse posséda des terres à Mons pendant plus de 170 ans. Leurs terres n’étaient pas limitées au seul plateau s’étendant du village à Clairac, mais allaient bien au-delà. C’est sur ce plateau de Mons, en bordure du chemin de La Briqueterie, que ce situait l’ancien château et ses dépendances. C’est ainsi que la rue principale des lotissements de Soleilla, établis sur ce plateau vers 1992, a été baptisée « Rue des Chartreux ».

     Qu’en reste-t-il de nos jours ? Les chartreux ont disparu de Toulouse. La Chartreuse est devenue la Faculté des Sciences Sociales. A Mons, les derniers vestiges de murs du Château ont été démolis en 1866, il n’en reste que quelques souvenirs à travers les noms de rue du lotissement de Soleilla.

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Définition de quelques termes :

                1- allivrement, livres livrantes : classement des terres en vue de l’imposition foncière estimée en 
                livres livrantes, l’imposition annuelle était répartie en fonction du nombre de livres livrantes de la communauté 
                (commune),
                2 - compoix : équivalent, au cours du Moyen-Age, du cadastre actuel, c'est-à-dire un inventaire des terres,
                3 - localement, 1 arpent valait 5690 m², 1 pugnerée = 1424 m², 1 boisseau = 178 m²,
                4 - feudataire, tenir en fief : détient des terres qui lui ont été concédées provisoirement par le seigneur du lieu, - 
                censives : redevances dues au seigneur concernant les terres dépendant de la seigneurie,
                5 - gélines : redevance au seigneur consistant en nombre de poules.


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